Et si la société en commandite simple était la recette des investisseurs immobiliers pour « Vivre à l’IR et mourir à l’IS » ?
Née au Moyen Âge pour financer les expéditions maritimes, cette forme sociale connaît un étonnant renouveau dans le domaine de l’investissement immobilier.
Si la SCI reste la forme sociale la plus populaire, la société en commandite simple (SCS) a de nombreux atouts à faire valoir. Pour décrypter son utilisation, nous avons rencontré Marc Bornhauser, avocat fiscaliste, qui nous révèle pourquoi cette structure pourrait bien supplanter la traditionnelle SCI dans les stratégies immobilières de rendement des plus avisés.
Note aux lecteurs : Cet article est une reformulation libre et une synthèse de l’entretien disponible en intégralité en audio et vidéo ci-dessus. Il ne constitue pas une retranscription littérale de l’épisode du podcast. Pour bénéficier de l’intégralité des informations, des nuances et détails, nous vous invitons vivement à écouter l’épisode complet. Les stratégies évoquées dans cet article nécessitent une analyse approfondie de votre situation particulière. Nous vous recommandons de consulter votre family office ou les professionnels du patrimoine qui vous accompagnent habituellement.
1. Les origines et principes fondamentaux de la SCS
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une société en commandite simple et son origine historique ?
La SCS est probablement la forme sociale la plus ancienne de notre droit. Née au Moyen-Âge pour financer le commerce maritime des épices, elle permettait de concilier les intérêts de différentes parties. Comme l’explique Marc Bornhauser :
« Cette société a été créée avec deux collèges d’associés : les associés commanditaires, c’est-à-dire l’armateur, dont la responsabilité est limitée à son apport, et les associés commandités, donc le capitaine et son équipage, dont la responsabilité est indéfinie et solidaire. »
Dans un tel schéma, impossible de répartir les gains à proportion de l’apport financier de chacun, l’armateur prenant la quasi totalité du risque en capital alors que l’équipage risque sa vie. Cette distinction fondamentale entre apporteurs de capitaux et preneurs de risques demeure l’essence de la SCS moderne.
2. Le dualisme juridique et fiscal de la SCS
En quoi consiste le dualisme juridique et fiscal qui caractérise la SCS ?
La SCS se distingue par un dualisme, à la fois juridique et fiscal. Sur le plan juridique, elle combine deux formes de sociétés : le collège des associés commanditaires fonctionne comme une SARL (responsabilité limitée aux apports), tandis que celui des associés commandités fonctionne comme une société en nom collectif (responsabilité illimitée).
Ce dualisme juridique se reflète au plan fiscal avec un régime hybride unique :
- La part des bénéfices revenant aux commanditaires est soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) au nom de la SCS
- La part revenant aux commandités est soumise à l’impôt sur le revenu (IR) directement entre leurs mains, par translucidité fiscale
Cette hybridité fiscale constitue le fondement de l’intérêt de la SCS en matière immobilière, permettant de combiner les avantages de deux régimes habituellement exclusifs l’un de l’autre.
3. Les avantages fiscaux par rapport à la SCI
Quels sont les principaux avantages de la SCS par rapport à une SCI classique ?
En matière immobilière, on entend souvent l’adage « vivre à l’IR et mourir à l’IS », soulignant la volonté des investisseurs de bénéficier du meilleur des deux mondes fiscaux, ce que permet la fiscalité.
Les limites de la SCI à l’IR sont bien connues : imposition des revenus fonciers au barème progressif (jusqu’à 45%) plus prélèvements sociaux (17,2%), impossibilité d’amortir le bien, et frais d’acquisition uniquement déductibles de la plus-value. En revanche, la fiscalité des plus-values y est avantageuse grâce aux abattements pour durée de détention.
À l’inverse, une SCI à l’IS permet de déduire les frais d’acquisition et d’amortir le bien, allégeant la fiscalité pendant la période de détention. Mais elle présente un inconvénient majeur à la sortie : l’imposition de la plus-value à l’IS sur une assiette incluant les amortissements pratiqués, suivie d’une seconde imposition lors de la distribution des fonds aux associés.
« Lorsqu’on fait des simulations comparatives, on se rend compte que le schéma en société en commandite simple est tout simplement très avantageux. »
4. La répartition des résultats de la commandite
Comment s’organise la répartition des résultats dans une SCS immobilière ?
L’optimisation offerte par la SCS repose sur une répartition stratégique des différents types de résultats :
- Les revenus ordinaires (loyers) sont attribués aux commanditaires et donc soumis à l’IS
- Les résultats exceptionnels (plus-values) sont attribués aux commandités et donc soumis à l’IR
Cette répartition correspond à la logique économique de la commandite. Le commanditaire, simple apporteur de fonds, reçoit une rémunération régulière mais limitée (les loyers) correspondant à un placement sécurisé. Le commandité, qui assume la gestion et les risques illimités liés aux dettes, est rémunéré par la plus-value potentielle, par nature aléatoire et liée à la performance de l’actif.
Cette corrélation entre prise de risque et rémunération est essentielle pour justifier le montage face à l’administration fiscale et éviter la qualification d’abus de droit.
5. La transmission patrimoniale via la SCS
La SCS peut-elle être un outil de transmission patrimoniale ?
La SCS est adaptée à différentes stratégies de transmission patrimoniale. Plusieurs configurations sont possibles selon les objectifs familiaux :
La configuration la plus courante place les parents en commandités et les enfants en commanditaires. Les enfants bénéficient alors des revenus locatifs (optimisés par le régime IS), tandis que les parents conservent le contrôle de la gestion et le droit aux plus-values lors de la cession éventuelle des biens.
Une variante intéressante consiste à utiliser comme commanditaire une structure détenant déjà de la trésorerie (typiquement une holding issue d’une cession d’entreprise). Cela permet de financer la partie de l’acquisition immobilière que les banques ne veulent généralement pas couvrir (30-40% du prix plus les frais).
La SCS permet ainsi de créer un écosystème patrimonial cohérent, où chaque génération trouve un rôle et des avantages adaptés à sa situation.
6. La gouvernance de la société
Comment s’organise la gouvernance dans une SCS ? Est-elle aussi souple qu’une SCI ?
Sur le plan de la gouvernance, la SCS offre une simplicité comparable à celle d’une SCI, tout en présentant certaines particularités liées à sa structure duale.
Le commandité est naturellement gérant de la société et dispose de pouvoirs étendus. Les commanditaires, en revanche, ont un rôle strictement passif dans la gestion externe. Cette répartition claire des rôles peut s’avérer particulièrement adaptée dans un contexte familial, où les parents souhaitent conserver le contrôle tout en associant progressivement leurs enfants.
7. Points de vigilance et risques d’abus de droit
Quels sont les principaux risques ou points de vigilance à considérer ?
Pour que le montage soit solide, la répartition des bénéfices doit correspondre à une réalité économique et notamment à une répartition proportionnée des risques.
« Le schéma est risqué quand il est abusif, et il est abusif quand le commandité n’a pas de risque réel, » précise Me Bornhauser. Par exemple, si le commanditaire a financé la totalité du bien en capital sans recourir à l’emprunt, le commandité ne supporte aucun risque réel et sa rémunération privilégiée par les plus-values devient difficile à justifier.
En revanche, avec un schéma normalement endetté, où le commandité assume réellement le risque lié au remboursement du prêt, la répartition différenciée des résultats est légitime.
Un autre point d’attention majeur concerne la rentabilité intrinsèque du projet immobilier. La cohérence économique du projet est fondamentale, indépendamment des avantages fiscaux. « Vous ne pouvez pas financer avec des taux d’intérêt à 4% un schéma qui rapporte 2%, c’est juste impossible, » rappelle notre invité.
8. Types de biens immobiliers adaptés à la SCS
Pour quels types de biens immobiliers la SCS est-elle particulièrement adaptée ?
La SCS présente une grande versatilité et peut être utilisée pour pratiquement tous les types de biens immobiliers :
- Locaux professionnels occupés par l’activité de l’investisseur
- Immobilier d’habitation en location nue
- Immobilier commercial ou de bureau
- Location meublée (nécessairement non professionnelle dans ce cadre)
- Parahôtellerie
Chaque type d’actif présente ses spécificités en termes de traitement fiscal, mais la structure de la SCS s’adapte à l’ensemble de ces configurations. Dans le cas de la location meublée ou de la parahôtellerie, certains points spécifiques concernant le traitement des plus-values professionnelles doivent être pris en compte, mais des solutions existent pour optimiser ces situations.
9. Transmission et succession
Comment anticiper le décès d’un associé dans une SCS ?
La gestion de la succession constitue un point important à anticiper, particulièrement en cas de décès d’un associé commandité.
Dans cette situation, Me Bornhauser recommande un changement de forme sociale : la société rachète à l’indivision successorale la part du commandité décédé, sur la base de la plus-value latente de l’immeuble. Cette opération entraîne naturellement des droits de succession sur cette plus-value, mais a l’avantage de « purger » l’impôt sur les plus-values des particuliers.
Cette approche permet une transmission ordonnée du patrimoine, tout en maîtrisant les conséquences fiscales du décès. Bien que des impôts soient inévitables, la structure permet d’éviter le cumul complet de la fiscalité successorale et de la fiscalité des plus-values.
10. Aspects pratiques et mise en œuvre
Quels professionnels faut-il consulter pour mettre en place une SCS immobilière ?
La mise en place d’une SCS pour l’investissement immobilier nécessite l’intervention de professionnels spécialisés. Ce type de montage relève de « l’orfèvrerie fiscale et juridique » et ne peut être improvisé.
L’approche recommandée implique une collaboration entre plusieurs experts, souvent coordonnés par le family office :
- Un avocat fiscaliste pour la conception globale du montage
- Un notaire pour les aspects immobiliers et successoraux
- Un expert-comptable pour le suivi fiscal et comptable de la structure
Ces professionnels pourront adapter la structure à la situation particulière de l’investisseur, rédiger des statuts sur mesure, et sécuriser le montage face au risque d’abus de droit. Ils veilleront également à la cohérence économique globale du projet, condition sine qua non de sa viabilité.
Conclusion
La société en commandite simple apparaît comme une solution particulièrement pertinente pour l’investissement immobilier, combinant les avantages fiscaux de l’IS pour les revenus courants et de l’IR pour les plus-values. Son dualisme juridique la rend également adaptée aux projets de transmission familiale.
Néanmoins, comme le souligne Me Bornhauser, cette structure n’est pas une solution miracle applicable à tous les cas. Sa mise en place requiert une analyse approfondie de la situation, une cohérence économique du projet, et un montage rigoureux pour éviter tout risque d’abus de droit.
Dans un contexte où la fiscalité immobilière est de plus en plus complexe, la SCS représente un outil supplémentaire dans l’arsenal des stratégies patrimoniales, particulièrement adapté aux investisseurs avisés qui cherchent à optimiser la détention et la transmission de leur patrimoine immobilier.

