Fiscalité web 3.0 interview

Quelle fiscalité dans le web 3.0 ? – Axel SABBAN, Avocat, Cabinet Revo Avocats

Certains dirigeants envisagent de créer une entreprise utilisant la blockchain pour tokeniser de l’immobilier, créer des NFT ou tout autre projet web 3.0 innovant. Mais comment être en règle avec la fiscalité du web 3.0 ? On peut avoir l’impression que c’est le Far West : des opportunités existent, et les risques sont considérables si on ne se prépare pas et si on n’est pas informé de ce que l’on fait. Nous avons le plaisir de retrouver Axel Saban, avocat chez Revo Avocats, avec qui nous avons précédemment échangé sur l’utilisation des crypto-monnaies par les entreprises en France, en particulier sur la fiscalité des différentes opérations possibles. Cette fois-ci, nous allons aborder un niveau de complexité supérieure. Cet épisode est dédié aux entrepreneurs du Web 3. Tous ceux qui se lancent dans la DEFI et le monde de la crypto de façon générale.

Cet article est une libre reformulation de l’interview complète d’Axel Sabban, disponible sur votre plateforme de podcast préférée ou sur Youtube. Il ne retranscrit pas toutes les subtilités étudiées dans l’épisode. Nous invitons les lecteurs à complémenter la lecture de l’épisode par l’écoute et à consulter leur avocat avant toute décision en lien avec les sujets de l’épisode.

Nous allons parler de « projets cryptos ». Comment définir ce terme ? Suis-je autant concerné, en tant qu’artiste créateur de NFT que de fonds d’investissement crypto ou projet web 3.0 ?

Cet épisode pourrait intéresser toute personne impliquée de près ou de loin dans l’univers des cryptos. Nous allons aborder la création d’entreprises dans ce milieu, que ce soit des entreprises individuelles ou des sociétés. Nous allons couvrir les artistes qui passent au Web 3, ainsi que les développeurs travaillant pour des entreprises ou des organisations autonomes décentralisées, ou encore pour des fondations gérant des protocoles blockchain. Certaines entreprises souhaitent émettre leurs propres jetons pour représenter des droits de propriété, que ce soit pour des actifs réels ou virtuels. Il y a également un grand nombre de projets DAO qui se mettent en place, notamment des DAO d’investissement, de gouvernance, de gestion de projet ou encore de collection.

Tout cela peut sembler complexe, mais nous sommes là pour vous guider et vous expliquer les implications légales et fiscales de ces projets passionnants.

Chronologiquement, quand on crée une société, on commence par mettre des moyens en commun. Ce sont les apports. Aujourd’hui, est-il possible de réaliser des apports en crypto comme on apporterait un immeuble ou du cash à une société ?

Il est possible d’apporter des actifs numériques à une société, tout comme n’importe quel autre type de bien. Cependant, il est important de comprendre que l’apport au capital d’une société déclenche une imposition en cas de plus-value sur les actifs concernés, comme c’est le cas pour les actifs numériques. Par exemple, si vous aviez acheté du Bitcoin à 10 000€ et que sa valeur actuelle est de 25 000€, l’apport d’un Bitcoin à la société déclenchera une plus-value de 15 000€. Cette plus-value sera soumise à un impôt de 30% pour les particuliers, composé de 12,8% d’impôt sur le revenu et de 17,2% de prélèvements sociaux. Bien qu’il soit possible d’opter pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu, il est important de comprendre que l’apport déclenche l’imposition, sans mécanisme de report ou de sursis d’imposition, contrairement aux valeurs mobilières. Ainsi, si vous envisagez de financer un projet avec de la crypto, il est faut anticiper correctement les conséquences fiscales.

Pourriez-vous définir les « DAO » ? Y a-t-il des formes sociales en France qui seraient adaptées pour ces organisations ?

Une DAO, ou organisation autonome décentralisée, est une forme d’organisation économique ou politique qui est conçue pour être décentralisée. Cette décentralisation se fait en émettant des jetons, ou actifs numériques qui représentent des droits sur la gestion ou les finances de l’organisation. Les porteurs de jetons peuvent alors participer au projet en votant ou en récupérant une partie des bénéfices financiers. Cela permet aux porteurs de projets de s’impliquer directement dans le projet. Les jetons peuvent représenter différents types de droits, tels que le droit de vote ou le droit de propriété sur un actif.

Cependant, la réglementation de ces organisations autonomes décentralisées est complexe et pose de nombreux défis juridiques. De plus, il y a différents niveaux de décentralisation. On trouve certaines DAO dans lesquelles les créateurs peuvent avoir 40% des droits de vote. Ce n’est pas vraiment ce que j’appellerais de la décentralisation. Comme dans tous les systèmes économiques il y a des bons et des mauvais projets.

Sur le plan juridique, l’organisation de la DAO ne s’aligne pas bien avec les entités légales, ce qui complique la situation.

Les sociétés, qu’elles soient à responsabilité limitée ou illimitée, sont souvent difficiles à gérer car elles nécessitent de savoir qui sont les actionnaires. Or, pour les détenteurs d’actifs numériques, l’anonymat est la norme. Cela complique la mise en place d’une association ou d’une société commerciale pour gérer le projet.

La question de la levée de fonds auprès du public est également un défi à surmonter. En France, de nombreuses discussions ont lieu sur la création d’une association sans but lucratif pour gérer le projet, associée à une société commerciale fournissant des services de développement.

Il n’existe actuellement aucun modèle entièrement satisfaisant pour gérer une DAO, mais de nombreux instituts de recherche, universités, professionnels et associations travaillent à trouver des solutions.

C’est particulièrement la question de la responsabilité qui reste floue.

C’est un peu comme la voiture autonome. On se demande si c’est le chauffeur qui ne conduit pas ou le codeur qui ne conduit pas non plus qui doit avoir la responsabilité de celui qu’on écrase sur le passage piéton ?

Exactement, à la différence qu’on ne sait même pas forcément qui a codé ! Et le code est souvent produit et validé par la communauté.

Est-ce que certaines législations sont plus adaptées et comprennent mieux la crypto qu’en France ?

Il y a de nombreux expatriés qui ne sont pas motivés uniquement par des raisons opérationnelles.

  • Les raisons fiscales sont également souvent citées pour justifier les départs hors de France.
  • Les relations bancaires sont également souvent une source d’expatriation. Les établissements bancaires en France sont souvent hostiles aux cryptomonnaies. Bien entendu, tous les établissements ne sont pas à mettre dans le même panier. Néanmoins, pour les entreprises crypto, il est souvent difficile d’obtenir un climat bancaire apaisé en France, surtout si elles sont en lien avec les NFT, ou le métavers.

C’est pourquoi ces personnes choisissent souvent de se domicilier dans des pays dont les législations sont plus accueillantes pour les projets crypto, tant sur le plan économique que fiscal ou juridique. Ce sont souvent des pays dont la législation n’est pas le fort.

En allant dans ce type de pays favorables à la crypto, on peut faire un peu ce qu’on veut ?

Il y a une dimension Far-West dans l’écosystème crypto. Ce n’est pas tant l’écosystème qui veut cela, mais la grande mobilité des personnes qui le compose. Ils peuvent s’expatrier dans des pays aux législations peu contraignantes pour monter des projets crypto.

Certains États, comme le Wyoming aux États-Unis, ont adopté des lois favorables pour les DAO, tandis que le Royaume-Uni a lancé une grande consultation pour adopter un cadre légal plus favorable. Des initiatives similaires émergent également en France pour mieux encadrer ces projets. Il est admis par beaucoup que les DAO ont le potentiel de révolutionner notre système de création et de partage de valeur, d’où l’importance de réglementer ce secteur.

Bien que cela ne soit pas nécessairement une priorité pour les législateurs, cela demeure une problématique importante pour les praticiens du secteur.

Certains agréments ou autorisations sont-ils nécessaires pour intervenir auprès des clients français ?

Lanécessité d’un agrément dépend de l’activité que vous exercez et de la manière dont vous la pratiquez. En France, il existe des enregistrements obligatoires auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour certains services sur actifs numériques, tels que ceux énumérés dans la loi Pacte. Parmi ces services, il y a quatre types pour lesquels l’enregistrement auprès de l’AMF est obligatoire si vous vendez ces services sur le marché français. Cependant, si vous ne visez pas expressément le marché français, vous pouvez exercer ces activités en France sans agrément.

Si par hasard, un client s’est retrouvé sur notre projet, on ne va pas être obligé d’obtenir l’agrément.

La question est de savoir quand est-ce que l’on peut être considéré comme s’adressant au marché français. Cela dépend de nombreux critères tels que la communication en France ou la présence d’un site web en français avec un nom de domaine « .fr ». C’est un sujet réglementaire complexe qui nécessite une expertise spécifique. Bien que je sois fiscaliste, j’ai des connaissances de base dans ce domaine mais je ne suis pas en mesure de répondre en détail.

En ce qui concerne les services sur actifs numériques, il y a quatre types de services pour lesquels l’enregistrement auprès de l’Autorité des marchés financiers est obligatoire lorsque l’on vise le marché français. Pour les autres services, l’agrément est optionnel mais il est plus lourd que l’enregistrement en raison de questions de fonds propres et de responsabilité civile. Actuellement, aucune entité ne détient l’agrément PSAN aux prestataires de services sur actifs numériques en France, mais il y a environ soixante entités titulaires de l’enregistrement.

Est-il trop difficile à obtenir ?

C’est trop difficile pour l’instant. Le problème, c’est qu’il va falloir trouver une solution parce qu’au niveau européen, on a un règlement. C’est le règlement MICA qui vise à donner un passeport européen aux projets crypto, mais surtout à rendre un équivalent de l’agrément PSAN obligatoire partout dans l’Union européenne.

Si je comprends bien, on serait contraint, pour rendre des services à des clients européens, d’obtenir un agrément qu’aujourd’hui personne n’arrive à obtenir ?

La subtilité, c’est que personne ne souhaite l’obtenir pour l’instant.

Je ne suis pas personnellement en charge des dossiers d’agrément. Ce sont des avocats spécialisés en réglementaire qui le font. Mais en général, plus on se tient éloigné des contraintes réglementaires, mieux on se porte aujourd’hui.

En plus, les conditions d’obtention de l’agrément découragent les porteurs de projets. Les personnes qui ne sont pas encore soumises à l’enregistrement obligatoire éprouvent des difficultés en raison des longs délais requis par l’Autorité des marchés financiers (AMF). En effet, le processus d’obtention d’un enregistrement PSAN peut prendre de 12 à 18 mois, ce qui ne correspond pas aux délais habituels d’un projet Web 3.

Dans ce contexte, les projets ont tendance à réorganiser leur proposition de valeur afin de se soustraire à l’enregistrement obligatoire. En revanche, les grosses entités, les services d’échanges d’actifs, peuvent être tentés de chercher un agrément pour des raisons de crédibilité, même si aucun d’entre eux n’en est encore titulaire.

Aujourd’hui, certaines sociétés s’installent par exemple au Luxembourg. On obtient dans cette législation l’agrément en 2 à 3 mois.

Est ce que c’est « contrôle fiscal automatique », quand on fait partie de l’équipe dirigeante d’un projet web 3.0 ?

Il convient de souligner que l’automatisation de la déclaration fiscale pour les transactions en crypto-monnaies n’est pas encore mise en place. Il est encore trop tôt pour en mesurer l’impact lors de la dernière vague en 2021.

Lors de la vague précédente en 2017-2018, il y avait peu de contrôle, car la majorité des projets ne s’étaient pas développés en France. De plus, l’opacité du secteur liée aux pseudonymes utilisés pour les portefeuilles Blockchain complique l’identification des propriétaires.

Pour les opérations menées en 2021, elles seront prescrites au 31 décembre 2024 et seront prises en compte lors de la clôture de l’exercice jusqu’au 31 décembre 2025. Bien que l’administration fiscale ne soit pas encore pressée, il est possible que des vagues de contentieux fiscaux surgissent à l’avenir. Il est donc recommandé de rester vigilant et d’être au fait des développements à venir dans le domaine de la fiscalité des crypto-monnaies.

Ya-t-il des écueils au niveau de la TVA sur les NFT et les cryptos ?

La TVA est un sujet important à prendre en compte pour les sujets NFT et plus largement dans toute activité économique. De nombreux clients n’ont pas une expérience fiscale étendue et sont peu familiers avec la diversité des impôts. En matière de crypto, la TVA est souvent négligée. Pourtant, elle s’applique dès lors qu’une activité économique est exercée.

En matière de TVA pour les activités liées à la crypto, la question à se poser est de savoir si on opère dans un secteur exonéré de TVA ou non. Pour déterminer si vous êtes éligible à une exonération de TVA, il convient de se poser plusieurs questions.

Tout d’abord, est-ce que votre activité se situe dans un secteur exonéré ?

Si votre projet implique la création d’une monnaie à usage exclusif de moyen de paiement, alors vous pouvez bénéficier d’une exonération de TVA. Cette exonération est prévue par la directive européenne pour les actifs monétaires et quasi monétaires depuis 2015.

Si vous ne vous situez pas dans un secteur exonéré, vous pouvez alors vous demander si vous bénéficiez d’une exonération territoriale.

Dans le cas des NFT, ils n’ont pas vocation à servir de moyen de paiement. Les projets de NFT sont donc soumis à TVA. On pourrait être exonéré en raison du lieu de résidence des clients. Mais avec le pseudonymat des portefeuilles crypto, on ne sait pas qui sont les clients. Dans ce cas, la TVA est applicable au taux de 20%.

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